Au pays du m’as-tu vu, le deuil n’est pas en reste

Article : Au pays du m’as-tu vu, le deuil n’est pas en reste
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22 avril 2013

Au pays du m’as-tu vu, le deuil n’est pas en reste

En ce moment, c’est pire qu’une épidémie. Selon les sabitou* ce serait la période des hommes. Pas leur période féconde (je vous vois d’ici), juste leur moment de partir (à croire qu’il y en a pour chaque genre), bref ! Donc de tous les côtés, c’est décès. Le père ici, le frère là-bas, (condoléances mes amies), le tonton, même le grand-père de 150ans (bon j’avoue j’extrapole sur l’âge) décèdent.

Ce climat m’a amené à m’interroger sur le sens véritable des obsèques aujourd’hui. Car à moins d’une mauvaise analyse, les deuils sont en passe d’être le siège par excellence du m’as-tu vu africain. Petite vue panoramique des us et coutumes ayant cours à Douala dès l’annonce du décès.

Les pleurs 

Les pleurs, c’est le nec-plus ultra du deuil. Si tu ne pleures pas, tu dois avoir un truc à te reprocher dans le décès du défunt. Donc souvent, d’aucuns n’hésitent pas à faire appel à l’aide extérieure (oignons ou small-no-be-sick*) pour faire couler ce liquide si distinctif de la douleur. Lorsqu’aucune des recettes miracles ne marche, on sifflote en agitant son index de gauche à droite. Y a quoi ? Tant qu’à pleurer, soyons créatifs.

Les réunions de famille.

Ils permettent de définir les tâches, d’attribuer les rôles. A quelles obsèques on aimerait que les nôtres ressemblent. Ou sera communiqué le programme, comment seront repartis les biens du défunt? Comment seront livre d’or et programme des obsèques? … Tant que ce conseil de guerre n’a pas siégé, aucune levée, aucun programme. Pour cela, il faut que le petit frère du grand-père du papa de la concession voisine au village  (la famille africaine est très élargie) soit là. S’il manque le train ou se perd à Douala (faut comprendre, on n’est plus au temps des anciens combattants) aucune réunion. N’en déplaise au cadavre hein ! Y en a  qui font carrément 2 ou 3 mois dans la glace.

Le recueillement

Cà, entre nous, c’est un truc que je n’ai pas encore compris (je ne suis pas prête) bien que ce soit mon préféré. Une espèce de centrale de ragots et de médisance masquée sous une empathie hypocrite ou l’on épie les faits et gestes de tous et de chacun : « Tu as vu Tjatbass? Parait qu’elle travaille maintenant à RFI ». « Elle ne pouvait pas annoncer le décès là-bas ? Elle nous sert même à quoi ? ». Ou chacun se vante de l’étroitesse de ses liens avec le défunt. Ou tout le monde sort de l’amnésie et se rappelle des faits récents avec le défunt qui n’existent que dans son esprit vaniteux. Si personne n’était à côté de lui au moment du décès, mieux vaut se concentrer sur le fait (le décès). Parce que circonstances là, c’est souvent « pire que scénario épisode de Jack Bauer deh » ! Si le défunt n’avait pas de maison ou si les obsèques auront lieu ailleurs qu’à son lieu de résidence, on lui improvise un domicile ponctuel. Propre ou sale, huppé ou pauvre, on s’en fout. Il faut se recueillir. Si tu ne viens pas, tu n’aimais pas le défunt. Et lorsqu’une connaissance, après l’inévitable GoldHarp du soir retrouve un peu de lucidité, c’est parti pour un concert de cris et de roulades.

Le pagne, le foulard, … les gadgets !

C’est la dette du moment. Envers qui ? Ha ! Moi je ne sais pas hein. Beaux, laids (Dieu seul sait qu’il y en a), légers, lourds, blancs (ou jaune), deux kolo*, 5kolo, 10kolo… You go pay. « Si tu ne portes pas, paies pour tes sœurs qui ne travaillent pas encore comme toi ». Pas moyen d’y échapper.  Y en a qui en ont fait une spécialité. A peine le mot décès prononcé, il a déjà sorti tous les gadgets qui vont avec. Tu ne les porte pas à une étape du deuil, tu renies ta famille, tu rejettes le défunt. C’est ce qui te démarque des « autres », les simples amis (ou pas). Les éternels je m’invite en ont au moins 10. Des fois pour des obsèques qui ne les concernait en rien. On va faire comment ? La vie est dure, on se cherche…suivez mon regard.

Les interminables veillées

Sans corps, avec corps, veillée du quartier, veillée de la belle famille, veillée du village, des amis du 2.o, des bars du quartier, de la diaspora. Tu t’amuses, c’est obsèques nationales ou du moins régionales. Bon départementales ! Y a quoi ? Faut veiller. Du moins, il faut fournir le prétexte à sa voisine célibataire de porter le dernier modèle de Niki Minaj spécialement conçu pour ces obsèques et se rapprocher enfin du cousin mbenguétaire* du défunt qu’elle avait en ligne de mire depuis. Si tu ne fais pas, tu renies l’entité concernée. Et ce n’est pas gratuit s’il-vous plait. Avant c’était pain (en s’en fichait de la provenance du moment qu’il y en avait)-beurre plus café chaud dans gobelet en plastique. Aujourd’hui c’est pain chaud (de boulangerie s’il-vous plait), saucisson (hallal ou nature tu as ça chez toi ?), boulettes, œufs, Guinness, cannettes,  café,… Tout même si tu veux. Tu n’offres pas, au deuil d’autrui on te rend la pareille.

La procession funèbre

Si les corbillards et la qualité/contenu (voitures de marque ou piétons, chaînes de télévision ou photographe du quartier) du cortège établissent nettement la différence, l’objectif est le même : la marche. Domicile proche de la morgue, on marche. Eloigné de morgue, on définit un point de ralliement et… on marche. Même si la maison se trouve au détour d’un « élobi*», on  marche seulement. On doit savoir qu’on est dans la peine.

La messe

A la levée, aux veillées, à l’enterrement. Des fois, le prêtre (ou pasteur selon l’obédience de la famille) confond les gombos défunts ou écorche leurs noms. Ça fait quoi ?  Acquiesce seulement. C’est pour le pardon et la paix du défunt.

Je ne parle pas des livres d’or ou des programmes d’obsèques en passe de devenir de véritables journaux. On ne se gêne pas pour les vendre en ce moment. Ni des cercueils. On ne veut plus les zingués. Faut les vitrés.

Tout cela pourquoi ? Une même finalité : le retour à la poussière dont on est formé. Elle sera atteinte avec ou sans tous ces artifices. Une finalité que les musulmans ont compris et qu’ils n’hésitent pas à appliquer à peine le décès prononcé. Même si tu devais te réveiller, tu vas seulement rester là-bas. Tu ne devais pas mourir?

Please, si je refroidis, enterrez-moi. Décapsulez ensuite une bouteille de Guinness. Bon, 2 et le reste d’argent destiné au casier,  donnez-les à mes frères. Parce qu’avec ou sans « m’as-tu vu »,  on finira poussière.

Shalom !

sabitou* : Argot désignant les savants en tout

small-no-be-sick: argot désignant une pommade, généralement utilisée pour le traitement de la grippe et qui appliquée sur les yeux provoque la coulée des larmes.

Kolo : Argot servant à désigner les coupures en milliers des CFA. 1000fcfa = Kolo. 2000 = 2 kolo…

Mbenguétaire : Argot désignant celui qui vit hors de l’Afrique. Blanc ou noir.

Elobi : argot désignant un quartier construit sur un terrain marrécageux.

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Commentaires

Lasamizette
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Très joli article,
très jolie description du deuil au pays!!