Ces vérités de « Ceux qui sortent dans la nuit »
Depuis « l’Etranger » d’Albert Camus en août dernier, j’avais rarement tourné avec autant de frénésie les pages d’un roman. En une journée, j’ai dévoré avec passion (et j’en redemande), les 283 pages de « Ceux qui sortent dans la nuit », roman écrit par Mutt-Lon, prix Kourouma en Avril 2014. Car tout, et c’est peu de le dire est entrainant et passionant.
« Ceux qui sortent dans la nuit » raconte la croisade d’Alain Nsona, infographe et papa de jumeaux de jour devenu Ewusu la nuit pour venger le décès de Dodo, son unique sœur de 10 ans « exécutée » parce qu’elle parlait en journée des choses de « Ceux qui sortent dans la nuit ».
Les passionnés des sciences occultes trouveront leur compte dans cette porte ouverte dans le monde secret et vivace de la sorcellerie africaine. Les 9 étapes de la transformation en sorcier, la dématérialisation, la réincarnation, l’extraordinaire pourvoir des chats, les « exécutions » Ewusu. Avec une simplicité de la narration et une précision dans la description que ne peut comprendre celui qui n’a pas écouté ces épopées mystérieuses racontées au bord du feu.
Un Ewusu n’est pas forcément le vieux barbu aux yeux globuleux trainant le poids de son âge sur une canne. C’est le jeune élève de CE1, le prélât qui officie tous les dimanches à l’église, le chercheur reconnu, le plus agile des chasseurs de notre entourage. Des hommes, mais surtout des femmes. Des êtres normaux tenus par le secret en journée qui sortent de leur masse corporelle et ont la possibilité de se réincarner et se mêler aux humains normaux.
« Ceux qui sortent dans la nuit » regorge de vérités ancestrales encore d’actualité. A l’exemple de celui-ci sur la polygamie : « Un polygame sérieux obéit à deux règles importantes : il entretient la rivalité voire l’animosité entre ses épouses et conserve toujours une chambre à lui que par souci d’équité aucune épouse ne doit fréquenter ».
Et pleines d’autres qui rendent difficiles la démarcation entre la vérité et la fiction tant les détails recèlent des vérités que nous racontaient nos aïeux au coin du feu.
Au-delà de cette immersion dans les mystères de la nuit africaine, l’œuvre est interpellatrice pour tout jeune africain soucieux de son développement.
Interpellation à un retour à notre identité, notre authenticité à l’ère de la mondialisation afin de marquer notre présence dans le rendez-vous du donner et du recevoir. Alain Nsona fait un bond de 306 ans en arrière (2011 à 1705) via la technique des Ewusu à la recherche d’un secret à même de donner un coup capital dans la marche en avant de l’Afrique. Malheureusement, les Us et les coutumes d’antan lui sont étrangères. Tout comme nos villages pour nombreux d’entre nous. Nos danses, nos rites, nos mets sont dénaturés, sacrifiés à l’autel des « choses que nous ne fabriqueront peut-être jamais mais qui nous couteront tout ». Mutt-Lon, « homme du terroir, fils du peuple » en est toute une symbolique.
Interpellation au devoir de mémoire. A la commémoration de nos héros. Combien de jeunes camerounais connaissent l’histoire de leur pays ? Combien se souviennent que Jean Michel Kankan a fait rire toute l’Afrique plus de 20 ans avant de rendre l’âme en 1997 ? Que Thomas Sankara a été assassiné en 1987 ? Que le corps ensanglanté de Um Nyobè a été déposé à sa dernière demeure à Eséka avec son exécution le 13 septembre 1958 ?
Interpellation à la solidarité, à la générosité, valeurs propres à l’Afrique. « Nous sommes essentiellement négatifs. Car il être foncièrement mauvais pour disposer d’une force et ne penser qu’à s’en servir à titre répressif et destructeur. La vigilance que nous mettons à nous épier, l’acharnement que nous avons à nous combattre, à nous neutraliser, l’indifférence avec laquelle nous nous soucions de la prospective et du destin collectif est horripilant. Quand un pays se perd, ca veut dire que ce sont les grands guides qui ont failli. »
Interpellation surtout à l’action. Devenir Ewusu dans « Ceux qui sortent la nuit » c’est accéder à l’ultime stade du développement des capacités spirituelles et physiques de l’être humain ; Chaque Ewusu peut réaliser ce qu’il pense. Le seul moyen de borner son pouvoir étant de lui opposer un semblable plus mature. Dans le monde de la nuit, le plus facile c’est d’agir et on de penser. Chez les humains normaux, on pense plus et on peut moins. Car il est temps d’aller plonger dans les profondeurs de nos coutumes ancestrales, d’aller chercher les trésors qui y sont restés trop longtemps enfouis et de venir les poser sur la balance.
Or « Si l’Afrique est aujourd’hui dernière de la classe, c’est certainement parce qu’elle refuse de se battre avec toutes les armes dont elle dispose. Un continent n’a pas le droit de receler tant de richesses de toutes natures, visibles et invisibles, et de rester à mendier en se trainant poussivement à la queue du mouvement mondial, consommant honteusement le produit de la science des autres sans daigner fouiller dans sa besace afin d’apporter la contrepartie qui valorise tout échange se voulant mutuellement bénéfique. » La sorcellerie existe partout, sous d’autres formes. Le téléphone portable, la radio en sont unes. Juste que nous les avons rendus communes, vulgaires. Aucun de ces inventeurs n’était normal. Ce n’est pas parce que les autres ont pu traduire leurs sorcellerie en équations mathématiques que les autres qui ne l’ont pas fait ne sont pas crédibles. »
Depuis que le monde existe, toutes les générations d’hommes qui se sont succédé n’ont eu que trois biens en partage :le Soleil, la Lune et la Terre ;
1705 et 2011. Un bond entre deux époques, Que se passerait-il si nos ancêtres faisaient un tout dans notre présent ? Mieux, que se passerait-il si nous arrêtions d’être des humains normaux et devenions tous Ewusu ?
Un primo-roman que je recommande à tous les férus d’aventures et de sensations fortes.
Shalom !
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